Dans le vacarme de la vie, il faut entendre les voix. Celles qui sortent du tumulte et dont l’éclat crée des bulles imperceptibles mais imbrisables : le temps s'arrête, tout autre son s'évanouit. Ce ne sont pas des voix qui disent, mais des voix qui touchent.
Parmi ces voix qui visent le cœur, la clarinette ne fait pas dans la demi-mesure. Grave et traînante, aiguë et excitée, suavement mélancolique… quel que soit le ton, elle ne souffle que la chaleur.
Le 28 avril 2023, au Point Fort d’Aubervilliers, c’est Ramazan Sesler le maître. Turque et tsigane, sa clarinette est un appel à l’émotion, à la danse, à la transe. Elle s’infiltre sous la peau pour déclencher une euphorie frissonnante, qui n’interdit pas une note de tristesse. Elle connecte les un.e.s aux autres et reconnecte chacun.e à soi-même. D’ailleurs, la traduction turque de « voix» n'est autre que... « Sesler ».
Telles d'indispensables cordes vocales, les instruments à cordes pincées entourent Ramazan Sesler : le kanun (Bülent Sesler), le oud (Hasan Demir) et la basse (Emre Türkmen). Pour donner le pouls, s'ajoutent la darbouka (Yaşar Akpençe) et le davoul (Volkan Çanakkaleli). Tous venus d'Istanbul, ils semblent former un ensemble inaltérable.
La clarinette est une voix qui chante. Elle raconte la Turquie avec des chansons sans paroles mais aux couleurs du pays. Ramazan Sesler nous emmène dans des petits villages et au fin fond d'immenses villes. Il nous promène dans des quartiers obscurs qui s'éclairent avec la musique, et nous convie à des fêtes où résonnent les traditions. Les makams s'entremêlent aux mélodies populaires : un patrimoine qui représente une Turquie plurielle et à l'âme festive. Certains morceaux sont originellement des chansons que beaucoup entonneraient dès les premières secondes. Toutefois, rien de mieux ici qu'une voix sans mots pour installer l'intemporalité et l'universel. Pas de narration, pas de langue, juste cette clarinette qui s'adresse à tous.
Fils du regretté Selim Sesler – grand virtuose de la clarinette tsigane – Ramazan Sesler s'inscrit dans la transmission avec la musique comme double héritage familial et culturel. Soufflée par Ramazan, elle dévale le long de l'ébène comme le sang coule dans les veines. Un sang qui s'est nourri d'histoire(s) et d'horizons au fil des générations, entre terres grecques, turques, et communauté rom. Entouré de ses musiciens, Ramazan s'approprie les répertoires dans le respect des anciens, tout en leur offrant de nouveaux accents. Chargées de vies et de mémoires, les voix sont amenées à muer.
Ainsi, sous le chapiteau du Point Fort, le public a formé une bulle imbrisable, emplie de danse, de joie et d'osmose, accueillant à coeur ouvert chaque nouveau morceau. Ramazan Sesler a couvert la salle d'une poésie dont l'écho s'est démultiplié en chacun.e, racontant au creux de chaque intonation que la clarinette, c'est sa voix à lui. Et puisque l'un des airs s'appelle Bir Istanbul gecesi ( « une nuit stambouliote »)... on en demande mille de plus.
Beau, touchant et poétique! Très rare de tomber sur ce genre d’article ou l’auteur décrit une scene musicale avec son âme, et qui va au de-las d’une description artistique banale et parfois trop technique.
L´article me donnes trop envi d’aller voir Ramazan Sesler et sa troupe, en espérant entendre les mêmes voies et ressentir les mêmes vibrations que l’auteur:-)
Bravo!